Anil Currimjee : «Business Mauritius doit rester le pilier d’une économie ouverte, compétitive et durable»

Après deux ans de mandat, le président sortant de Business Mauritius dresse un bilan marqué par des combats décisifs – du port à la réforme des salaires – et esquisse les défis à venir pour Maurice, entre gouvernance, durabilité et innovation.


Votre mandat s’achève. Quel regard portez-vous sur ces deux années à la tête de Business Mauritius ?

Il faut être à l’intérieur de Business Mauritius pour saisir l’ampleur du travail accompli. L’organisation n’est pas seulement une voix patronale. Elle fédère autour d’un cap commun – une économie prospère, inclusive et durable –, tout en veillant à la vitalité de notre climat des affaires. C’est un travail de fond, discret mais vital, qui maintient la compétitivité et renforce la collaboration public-privé. Je suis fier de cette équipe et de ses avancées.

Nous avons placé des dossiers clés au cœur du débat national. Le port, par exemple, est désormais reconnu comme un levier stratégique. Face au changement climatique et à l’érosion côtière, un alignement inédit s’est créé entre l’État, les entreprises, les ONG et les bailleurs pour protéger l’île. Pour un pays insulaire vulnérable, cette mobilisation collective est capitale.

L’un des dossiers qui a le plus marqué votre mandat est celui de l’ajustement salarial imposé. Que retenez-vous de cet épisode ?

C’est sans doute le sujet le plus sensible, et je suis fier de la position que nous avons tenue. Nous avons dénoncé un ajustement décidé en dehors du cadre légal, pour des raisons électorales. Notre ligne de conduite était claire : respecter les institutions et protéger la compétitivité à long terme.

Soyons clairs : nous voulons tous des salaires plus élevés et un meilleur pouvoir d’achat, car une économie à revenu élevé ne peut se construire autrement. Mais imposer des ajustements hors de toute logique économique fragilise nos bases. La justice nous a finalement donné raison. C’est une victoire pour l’État de droit et pour l’avenir de notre économie.

Vous aviez placé votre présidence sous le signe de l’ouverture économique, de l’innovation et de la durabilité. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Nous avons progressé sur chacun de ces fronts, mais des blocages demeurent.

Sur l’ouverture, deux chantiers majeurs se distinguent : le port, qui doit devenir un véritable hub régional – les discussions avancent, mais les décisions doivent maintenant suivre – et les talents. Il faut attirer des compétences, retenir les meilleurs, inciter la diaspora à revenir. Quelques pas ont été faits, mais trop de signaux fiscaux ou réglementaires risquent encore de décourager l’ouverture dont nous avons besoin.

Concernant la durabilité, le changement climatique reste le défi du siècle. L’érosion côtière en est l’expression la plus visible. Ce qui me donne de l’espoir, c’est la mobilisation collective qui se dessine, avec des données scientifiques précises et des solutions sur la table. L’heure est désormais à l’action.

Enfin, sur l’innovation, je retiens l’élaboration du premier plan national d’intelligence artificielle, AI for All, auquel Business Mauritius a contribué. C’est un pas important, mais nous devons accélérer. Singapour a déjà adopté deux plans en quelques années. Pour rester compétitifs, il nous faut renforcer notre connectivité digitale, notre environnement fintech et accompagner davantage les initiatives émergentes.

Vous évoquez souvent Singapour comme une source d’inspiration. Qu’y trouvez-vous de pertinent pour Maurice ?

D’abord, leur méritocratie : reconnaître la valeur et encourager la création de valeur ajoutée. Ensuite, leur pragmatisme : conjuguer idéologie et réalisme pour bâtir des politiques viables. J’ajouterai leurs valeurs civiques – discipline, travail, équité, transparence – et surtout leur combat frontal contre la corruption, avec la volonté d’enquêter et de sanctionner sans équivoque.

Ce modèle démontre que gouvernance et développement économique sont indissociables. C’est une leçon dont Maurice devrait s’inspirer.

Votre mandat s’achève dans un contexte politique contrasté : entre vent de renouveau et tensions sur la gouvernance. Quel est votre regard ?

L’année 2024 a été difficile. L’épisode des salaires imposés hors cadre légal, la censure des réseaux sociaux avant les élections : tout cela a nourri l’impression d’un affaiblissement institutionnel.

Mais 2025 s’ouvre sur une note plus positive. Les changements de leadership créent toujours des ajustements, mais on sent une volonté de renforcer nos institutions. La gouvernance, dans le public comme dans le privé, est sans doute la clé de notre avenir.

Deux priorités s’imposent à mes yeux : l’éducation et la lutte contre la drogue. La première, pour préparer nos enfants à un monde technologique. La seconde, parce que ce fléau fragilise nos communautés et menace notre cohésion. Ce sont des combats à long terme, mais indispensables.

Et si vous aviez eu davantage de temps à la présidence, quel chantier auriez-vous voulu approfondir ?

J’aurais souhaité rendre Business Mauritius encore plus proche des Petites et Moyennes Entreprises. Leur dynamisme est vital pour notre avenir. L’organisation a un rôle central à jouer pour leur donner plus de soutien et de visibilité.

Et au niveau national, s’il y a un message pour le pays, je dirais que Maurice est à la croisée des mondes. Nous percevons les incertitudes de l’Ouest, mais aussi l’élan de l’Est et de l’Afrique. Cet élan, fait d’ouverture et d’ambition, doit nous inspirer. Je suis convaincu que Business Mauritius continuera de jouer un rôle central dans cette trajectoire, en défendant une économie ouverte, compétitive et durable, au service de l’avenir du pays.

Source: lexpress, 01 October 2025